Votre panier est actuellement vide !
Republication d’un article de mon ancien autre blog, Prom’Auteur.
La semaine dernière, plusieurs articles ont été publiés pour annoncer que l’Académie française allait enfin se pencher sur la question de la féminisation des noms de métiers.
Cette nouvelle a provoqué bien des débats, évidemment, dans lesquels sont ressorties de nombreuses idées reçues à propos l’Académie française. Je me suis donc dit qu’un article sur le sujet pouvait être intéressant afin de démystifier cette institution souvent diabolisée.
Avant de commencer, j’aimerais préciser que je ne souhaite pas rentrer dans le débat de l’utilité de la féminisation des noms de métiers, ni même de l’utilité de l’Académie.
J’ai souvent vu passer l’idée que, avant la fondation de l’Académie française, il régnait en France une sorte de gloubiboulga linguistique qui ne permettait pas à deux Français de régions différentes de se comprendre. C’est faux, évidemment.
Tout d’abord, il faut savoir que l’explosion de l’imprimerie, avec la presse à caractères mobiles de Gutenberg au XVe siècle, demandait déjà une uniformisation de la langue. C’est alors que les grammairiens, les lexicographes, les théoriciens de la langue et les linguistes ont pris de l’importance.
Ensuite, en 1539, le français devient la langue officielle de France avec l’ordonnance de Villers-Cotterêts, détrônant ainsi le latin. Suite à cette ordonnance, de nombreux intellectuels et groupes d’intellectuels font publier leurs travaux de codification et d’uniformisation de la langue comme le premier Dictionnaire françoilatin de Robert Estienne, publié en 1539.
Dix ans plus tard, c’est au tour du manifeste de la Pléiade, La Défense et illustration de la langue française, d’être publié.
Moins de cent ans plus tard, en 1629, Valentin Conrart, un conseiller de Louis XIII, fonde le cercle Conrart qui regroupe une dizaine d’intellectuels pour discuter linguistique. Ce sont les réunions de ce cercle qui inspireront à Richelieu la création de l’Académie française en 1634, nommant alors Valentin de Conrart secrétaire perpétuel de la nouvelle institution.
L’Académie française sera officiellement reconnue en 1635.
La fondation de cette institution n’est donc qu’une finalité d’un parcours linguistique qui avait commencé plus de deux cents ans auparavant.
Presque tous les articles partagés la semaine passée présentaient l’Académie comme étant en retard sur son temps, comme quoi elle ne s’était jamais intéressée au sujet de la féminisation des noms de métiers.
Ainsi, Langue-fr.net titrait Féminisation: quand l’Académie se réveille avec 18 ans de retard. Citons encore Usbek & Rika : L’Académie française s’apprête à accepter la féminisation des noms de métiers et L’Express : L’Académie française se résout à la féminisation pour ouvrir son article par « Les Immortels sont sur le point de féminiser les noms de métiers. Mais pourquoi cela a-t-il pris tant de temps ? »
Il faut savoir que la féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres est un sujet qui a interpelé l’Académie française dès la première moitié du XXe siècle (peut-être même avant au vu des actions féministes qui étaient entreprises un peu partout dans le monde dès la fin du XIXe). Ainsi, en 1935, la 8e édition du Dictionnaire de l’Académie accueille entre ses pages artisane, postière, aviatrice, pharmacienne, avocate, bûcheronne, factrice, compositrice, éditrice et exploratrice. Et des dizaines d’autres féminisations s’ajoutent dans la 9e édition de 2015.
En outre, en 2014, un communiqué officiel rappelait que « L’Académie française n’entend nullement rompre avec la tradition de féminisation des noms de métiers et fonctions, qui découle de l’usage même » et que « En 2002, l’Académie française, opposée à toute détermination autoritaire de l’usage, rappelait qu’elle avait tenu à « soumettre à l’épreuve du temps » les « recommandations » du Conseil supérieur de la langue française publiées en 1990 au Journal officiel ».
Cela fait donc dix-sept ans que l’Académie observe et étudie les usages afin de prendre une décision. Comme l’explique bien Dominique Bona dans l’interview qu’elle a accordé à Libération : « Nous avons eu recours à différentes études, des rapports d’organismes spécialisés qui opèrent des statistiques linguistiques. Ils analysent les usages divers de la langue : à l’université, dans la vie de tous les jours, dans les médias, dans la littérature… »
Elle rappelle également que l’Académie a un temps lent.
Je vous invite fortement à aller lire cette interview de Dominique Bona qui donne un excellent aperçu de la manière de travailler des Immortels et de la position de l’Académie sur le sujet de la modernisation de la langue.
En revanche, rappelons que Maurice Druon, qui a mené la barque de l’Académie pendant quatorze ans (de 1985 à 1999), souhaitait une lente évolution de la langue et était particulièrement hostile à la féminisation des noms de métiers. Ce qui explique, en partie, le manque de réactivité de l’institution à ce propos.
Je crois que ce n’est plus un secret pour personne.
En effet, entre 1600 et 1640, des masculinistes sont entrés en croisade contre plusieurs usages qui pouvait « porter atteinte au genre masculin », qualifié de « genre le plus noble ». Ainsi, en 1647, Claude Favre de Vaugelas affirmait : « Le genre masculin étant le plus noble, il doit prédominer chaque fois que le féminin et le masculin se trouvent ensemble. »
Exit donc la règle de proximité, l’accord du pronom en fonction de la personne et le féminin des professions dites d’hommes.
C’est ainsi que des termes tels que poétesse, philosophesse, médecine, autrice, peintresse, etc. n’ont jamais intégré la première édition du dictionnaire de l’Académie alors qu’ils étaient fréquents dans les usages.
Si vous voulez creuser le sujet, je vous invite à lire l’interviewd’Éliane Viennot (une linguiste, historienne de la littérature et critique littéraire française) à propos de la masculinisation du français.
Certains discours (parfois vindicatifs) de cette institution (surtout à l’époque de Druon…) pourraient faire croire que l’Académie française est la seule autorité en matière de norme de la langue. En vérité, il n’en est rien.
L’Académie française est la gardienne de la norme et a pour but de maintenir la langue vivante en normalisant les évolutions du français en fonction des usages. Elle permet ainsi de poser (et de préserver) des règles sur une langue qui change tout en garantissant de ne pas créer un clivage entre la norme et l’usage qui ferait du français une langue morte, car différente de celle que l’on parlerait au quotidien. Rappelons-nous que le français codifié par Richelieu est à des années-lumière du français que nous parlons aujourd’hui.
L’Académie est à voir comme une conseillère en matière de bon usage de la langue.
De même, les réformes orthographiques ne sont pas des ukases, mais bien des propositions. Même si ces réformes sont enseignées dans les écoles, les personnes qui ont appris les anciennes règles sont libres d’appliquer l’orthographe qu’elles souhaitent.
Ainsi, j’écris toujours oignon, phantasme, connaître, événement… Mais j’ai adopté lys, plateforme, nénufar, clé…
Comme je l’ai dit plus haut l’Académie n’est pas la seule autorité en matière d’usage de la langue. En effet, chaque pays a ses propres institutions qui éditent ses propres règles en matière d’usage de la langue. Même si elles se réfèrent aux directives de l’Académie, il arrive qu’elles s’en détachent pour appliquer d’autres règles qu’elles considèrent plus en phase avec la modernité ou plus protectrices vis-à-vis du français.
Ainsi, ce sont les gouvernements qui décident des dénominations juridiques et administratives qui sont acceptées dans la fonction publique (cf. Le guide d’aide à la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions pour la France publié en 1999 — et condamné par Maurice Druon, soit dit en passant). Mais aussi :
– en France, l’Éducation nationale décide des normes orthographiques enseignées et acceptées aux examens ;
– en Belgique, la Communauté française décide des usages linguistiques à appliquer en cours et dans les institutions publiques (c’est ainsi que la féminisation des noms de métiers a été officialisée en 1993 et dont le guide Mettre au féminin a été mis à jour une première fois en 2005 puis une seconde fois en 2014) ;
– Au Canada, l’Office québécois de la langue française a, à peu près, les mêmes fonctions que l’Académie, mais avec plus de poids.
Il est très important de se rappeler ce point. Même si nous devons nous plier à des normes strictes dans des cadres officiels, nous restons maîtres et maîtresses de notre langue dans tous les autres cadres.
Ainsi, si une norme ne nous plaît pas, libre à nous de l’adapter dans notre correspondance personnelle, dans nos livres, sur nos blogs…
Une langue appartient à celles et ceux qui s’en servent et non à celles et ceux qui la codifient. Si nous, usagers et usagères, estimons que des changements doivent être opérés alors, appliquons-les sans attendre d’avoir la bénédiction de l’Académie française.