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Republication d’un article de mon ancien blog d’autrice
Bonjour à toutes et à tous ! 😄
Vu que nous serons bientôt le 8 mars et, donc, la journée internationale des droits de la femme, j’avais envie de vous parler d’un sujet en rapport et avec les livres et avec les femmes.
J’ai reçu il y a peu un mail d’une abonnée qui me demandait si j’écrivais sous mon vrai nom [de femme] et qu’elle espérait que c’était le cas parce que, visiblement, elle trouvait aberrant d’écrire sous un nom d’homme quand on était une femme.
Si vous ne le saviez pas encore, Aline Wheeler n’est pas mon vrai nom — enfin « pas tout à fait » puisque Aline est mon 3e prénom —, mais bel et bien un pseudonyme. Toutefois, je suis bien une femme, hein ! Pas de panique là-dessus 😉
Pendant ma recherche de nom de plume je me suis posé plusieurs questions pour m’aider à me décider, dont celle du nom anglophone et celle du nom d’homme.
À lire aussi : Ma vie, mon roman #6 : Mon nom de plume
Comme ce n’est pas le sujet de cet article, je serai brève sur ce point.
Tout simplement parce que subsiste encore ce vieux préjugé comme quoi il n’y a que les anglophones qui écrivent de la bonne Fantasy (v. mon plaidoyer pour le PIF).
Mais aussi parce que je me dis que si un jour, peut-être, mes romans sont traduits en anglais, avoir un nom prononçable pour les anglophones étaient aussi une bonne idée. — J’ai le droit de rêver, ne me jugez pas ! 😂
Nous voilà arrivé-e-s au cœur du problème.
Je vous avoue que la question de prendre un nom de plus masculin est probablement partie aussi vite qu’elle est arrivée. Mais, la question de l’initiale (façon J.K. Rowling) ou du nom ambigu (à la Fred Vargas) est restée plusieurs jours. J’ai effectivement failli opter pour A. Wheeler.
Mais pourquoi cette question m’est passée par la tête ? Alors que très peu d’hommes choisissent de prendre des noms de plume de femme — sauf quand il s’agit d’écrire des romances ou des livres « feel good », là, les noms de femme sont plus vendeurs, ce qui, soit dit en passant, ne fait qu’entretenir les préjugés... Pourquoi nous, les femmes, nous posons-nous cette question ?
Il faut savoir que durant le XIXe siècle, les femmes ont été considérées comme de petites choses fragiles qu’il fallait protéger de la dureté du monde et qu’elles n’avaient ni les capacités intellectuelles nécessaires ni le tempérament adéquat à la création artistique — pour rappel « hystérie » vient du grec ὑστέρα (ustéra) qui veut dire utérus… ça en dit long sur beaucoup de choses à mon avis…
De là, le monde du livre est devenu un monde d’hommes.
En Occident, la culture traditionnelle représentait la femme comme une éternelle mineure qu’il fallait protéger, ce qui l’éloignait de ses droits civiques. Privées de toute possibilité de choix, ces femmes avaient du mal à faire reconnaître leur métier d’écrivain et à se reconnaître, elles-mêmes, comme des créatrices à part entière. Beaucoup d’entre elles choisirent de masquer leur identité sous des pseudonymes. Elles avaient trouvé dans ce subterfuge la seule façon d’écrire librement, et d’être lues sans craindre les préjugés que leur vrai nom risquait d’attiser.
Avoir recours à un pseudonyme masculin permet d’ouvrir des portes qui nous claqueraient au nez si on se présentait avec nos noms de femme. C’est comme ça que des femmes ont été obligées de prendre des noms d’homme si elles souhaitaient voir leurs ouvrages publiés. Ainsi, Aurore Dupin, Jeanne Loiseau, Mary Ann Evans et Elizabeth Mackintosh sont devenues George Sand, Daniel Lesueur, George Elliot et Gordon Daviot.
Balzac lui-même estimait que les femmes n’avaient pas leur place dans la création artistique et intellectuelle car leur rôle à elles était d’enfanter.
Enfin, dans Le Curé de Village (1839), Mme Graslin soutient que « le génie auquel nous devons les belles œuvres des artistes, des poètes » existe chez la femme « mais sous une autre forme, elle est destinée à créer des hommes et non des choses. Nos œuvres à nous, c’est nos enfants ! Nos enfants sont nos tableaux, nos livres, nos statues ». Parce qu’elle est mère, la femme chez Balzac est exclue de la création artistique.
Source : Le Roman Bâtard : Femmes Auteurs et Illégitimité sous la Monarchie de Juillet de Nigel Harkness
De même, dans l’imaginaire collectif, il y a également cette idée, bien ancrée, qu’un livre écrit par un homme sera toujours meilleur qu’un livre écrit par une femme. Un jour, on — un homme… — m’a dit : « Je ne lis pas de livres écrits par des femmes parce que je n’aime pas les romances. »
C’est lourd tout de même, de se dire qu’un livre écrit par une femme est d’office un livre à l’eau de rose — parce qu’il ne faisait clairement pas allusion aux bonnes romances, mais bien aux récits mièvres.
Ça me rappelle l’autrice anglaise Catherine Nichols qui, après avoir tenté l’expérience d’envoyer les premières pages de son récit à plusieurs agents littéraires sous son vrai nom à une moitié et sous un pseudonyme masculin à l’autre, a remarqué qu’il y avait de sérieuses différences de traitement pour un même manuscrit. Il y a notamment un agent qui a refusé son manuscrit portant son vrai nom, mais qui a demandé à lire son manuscrit entier lorsque celui-ci portait le pseudonyme.
Soit cet agent n’a pas vraiment les yeux en face des trous, soit il n’a même pas daigné ouvrir l’extrait envoyé sous le nom de Catherine Nichols juste parce que c’est une femme ! Avouez que, face à ce genre de situation, il y a de quoi se poser des questions…
L’autrice tente une explication :
Premièrement, les agents agissent peut-être sciemment et rationnellement, s’il est plus facile pour eux de vendre un livre écrit par un George, ils seront plus intéressés par le travail de George, et plus polis et encourageants envers lui. Deuxièmement, il est inhabituel qu’un homme écrive un livre avec un personnage principal féminin, donc peut-être que le livre s’est démarqué à cause de ça. […] Troisièmement : avec mon nom, peut-être que mon roman était pris pour de la « littérature féminine », un nom détestable pour un genre respectable – mais qui ne correspond pas à ce que j’écris. Si un agent attendait ça, je ne suis pas surprise qu’il ou elle ait lâché l’affaire après une page ou deux.
Source : Une auteure se fait passer pour un homme pour augmenter ses chances d’être publiée par Lea Bucci
L’argument de « il est plus facile de vendre un livre écrit par un homme » est également l’une des raisons qui fait que certaines femmes doivent prendre des noms d’homme — ou mixtes — pour pouvoir être publiées. Parfois elle le font d’elle-même comme ça a été le cas pour Fred Vargas — Nan, mais qui prendrait au sérieux du polar écrit par une femme ?… — ou Robin Hobb qui écrit sous un nom mixte pour l’Epic Fantasy et sous son nom féminin (Megan Lindolm) pour « le reste de ses récits », ou encore J.K. Rowling à qui sont éditeur lui a dit que « Joanne » n’était pas un nom vendeur.
Une femme pourrait également prendre un nom d’homme pour faire un pied de nez aux misogynes. Mais pour y arriver, il faut être une écrivaine sacrément douée et sûre de son coup.
Enfin, il est intéressant de noter que, en moyenne, les hommes sont plus facilement publiés et beaucoup plus représentés dans la presse. On aura toujours tendance à passer les femmes à la trappe ou à les dévaloriser au point qu’elles perdent confiance en elles et n’écrivent pas ou ne font rien pour se faire remarquer — dans le bon sens du terme.
[…] il y a aussi la perception de la demande : quand un écrivain réclame une critique pour son livre, il est souvent perçu comme audacieux ; alors que quand c’est une femme, elle est considérée comme « arriviste » ou « pleurnicharde ». Ces stéréotypes pourraient affecter la confiance des écrivaines, leur détermination à demander une critique et même à écrire.
Source : « Les hommes sont plus publiés que les femmes, et beaucoup plus présents dans la presse » pas BibliObs
Les articles que je vous ai partagés datent un peu, mais l’interview d’Audrey Alwett sur Splash le 5 novembre 2018 est éloquente quant à la décrédibilisation des femmes dans le domaine : Écrire condamne-t-il à la pauvreté ?
Au vu de tout ça, il n’est plus si étonnant de voir des femmes prendre des noms d’hommes pour (se faire) publier et quitter cette espèce de cape d’invisibilité dont on nous a recouvertes. Mais aussi pour ne pas avoir à essuyer le mépris des éditeurs, des critiques et, aussi, des lecteurs — tout est mis au masculin, parce qu’il est rare qu’une femme soit décrédibilisée par une autre femme dans ces domaines.
N’oublions pas, non plus, le Dieu Dollar qu’il faut satisfaire et qui, selon les éditeurs, n’apprécient pas les dons des femmes sur l’autel de la consommation, mais seulement leur sacrifice.
Comme je l’ai dit plus haut, j’ai pensé à prendre un pseudonyme mixte. C’est vrai.
Si je ne l’ai pas fait, c’est parce que je me suis rendue compte que ça ne collerait tout simplement pas à l’image de marque que je veux diffuser, c’est-à-dire l’image d’une femme autrice, écrivaine, blogueuse, autopubliée. Que du féminin dans ces derniers mots.
J’ai toujours refusé de laisser planer le doute quant à mon genre. J’ai grandi dans un monde de mecs (j’ai fait des études de sciences dures, pour rappel) et je n’ai jamais courbé l’échine face à eux. Je suis une femme qui aime les sciences dures, les jeux vidéos, la Fantasy, la Science-Fiction et qui écrit — et j’aime pas le maquillage, la mode, les poupées et les dinettes. Et si ça leur plaisait pas, et bien, c’était le même prix.
Pourtant, je ne condamne pas les femmes qui font le choix de prendre un pseudonyme d’homme tout simplement parce que, pour s’en sortir dans un monde tel que le nôtre, il faut ce qu’il faut.
Voilà ! C’était un sujet que je voulais aborder depuis un petit moment.
J’espère que ça vous a plu et n’hésitez pas à me dire ce que vous pensez du fait que des femmes prennent des pseudonymes d’hommes pour pouvoir avoir une meilleure place dans le monde du livre.